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1820, 15 mai. Ministère de l’Intérieur. Conseil des Bâtiments civils

. Paris

Avis fournis au Conseil des Bâtiments civils dans la séance du 15 mai 1820 par M. Mazois, Inspecteur général, membre du Conseil.

  • Arch. nat., F 13-882 nos 21 à 24

Appelés comme nous le sommes à prononcer sur une des questions les plus intéressantes qui aient jamais été débattues au Conseil, nous ne saurions apporter trop de précaution pour que la délibération qui doit suivre soit le fruit d’un mûr examen et qu’elle porte avec elle toutes les lumières qui doivent éclairer l’Autorité sur le parti qui lui restera à prendre.

Toutes les opinions partielles se rattachent à deux questions : la destruction du monument ou sa conservation. Ceux qui penchent pour la première hypothèse s’appuient sur l’état effrayant de dégradation où se trouvent les piliers de la nef, la difficulté d’une restauration, et les dépenses qu’elle entraînerait. Ceux qui désirent que l’église Saint-Germain-des-Prés soit conservée sont guidés par le respect dû à un monument intéressant pour l’histoire de l’art et par la conviction que la restauration des piliers n’est point impossible. Le moment n’est point encore venu de discuter ces deux opinions également défendues par des personnes dont les lumières bien connues de nous tous, méritent une grande déférence ; je ferai seulement observer la différence qui existe dans la position de chacun. Ceux qui veulent la démolition du monument ne s’exposent à rien ; le résultat prévu d’avance est assuré, et, supposé que cette opération eût été le plus mauvais parti à prendre, on n’en retrouverait plus bientôt la moindre preuve ; dès que la démolition serait commencée, les pierres n’élèveraient point la voix du milieu des décombres pour se plaindre d’avoir été déplacées à tort, et la seule conséquence de cette destruction serait pour ceux qui l’auraient provoquée d’avoir excité des regrets isolés auxquels on ne ferait point attention, ou quelques murmures qui seraient pris pour l’expression d’un amour-propre blessé d’avoir vu ses avis dédaignés. Mais ceux qui désirent que le monument soit conservé sont dans une toute autre situation ; leur opinion entraîne une espèce de responsabilité : elle peut avoir des conséquences, le succès en est incertain, les moyens proposés pour la reprise en sous-œuvre fussent-ils indubitablement assurés, il ne faut qu’une négligence, ou la moindre mauvaise volonté pour changer nos espérances en regrets bien amers. Il doit donc nécessairement exister chez ceux qui se résignent à toutes les conséquences d’une opinion aussi hardie un sentiment autre que le seul désir d’avoir une opinion à soi ; il faut qu’il y ait quelque forte conviction, quelque heureux espoir, et pour peu que nous supposions les lumières égales entre les membres du Conseil, cette seule considération mériterait que l’on approfondît bien l’avis de ceux qui se prononcent pour la restauration. Remarquez, Messieurs, que je ne combats pas la proposition adverse ; je réclame seulement une haute attention pour celle des propositions qui, malgré les difficultés qu’elle présente, offre le résultat le plus à désirer.

Son Excellence le ministre de l’Intérieur nous ayant confié l’examen de cette affaire pour éclairer sa décision, si nous prononçons le mot fatal, le monument disparaît sur le champ avec cette rapidité qui accompagne toujours la destruction : que resterait-il alors ? des décombres, et un avenir de dépenses dont je défie qui que ce soit de fixer d’avance la valeur et le terme. Ce vieil édifice ne sera pas plutôt privé d’une de ses parties que toutes les autres, ébranlées par la démolition, privées du secours que les constructions se prêtent mutuellement, vont donner lieu à des projets supplémentaires qui nous conduiront à voir disparaître la plus ancienne église de France et un des monuments des plus intéressants de Paris. Ne nous résolvons pas à ce parti extrême qui répugne à l’autorité sans nous être convaincus qu’il n’en reste point d’autre à prendre. Nous pouvons prolonger de quelques instants l’examen ; nous nous sommes momentanément rendus maîtres du danger, le péril ne peut guère s’accroître d’ici à notre décision, le délai nécessaire pour traiter cette affaire à fond ne peut dépasser quelques jours et les regrets que pourrait faire naître une délibération précipitée seraient éternels.

Je sais que la question dont nous nous occupons a déjà été examinée par une commission ; je sais que MM. les membres du Conseil ici présents ont visité l’église avec assez de soin pour pouvoir parler de tout ce qui concerne son état actuel avec connaissance de cause : cependant, je crois devoir insister encore pour que toute résolution soit ajournée, attendu que la personne qui devait être consultée avant tout autre, celle qui pouvait nous donner le plus d’éclaircissements, est précisément celle qui n’a point été appelée à donner son avis au Conseil. M. Godde, architecte des églises, a fait à M. le Préfet plusieurs rapports sur l’état actuel, mais nous ne connaissons pas officiellement son avis sur le parti qui reste à prendre et il est nécessaire que son opinion à cet égard nous soit connue, car si l’initiative nous est dévolue en certains cas, il est convenable, je crois, en cette circonstance, que le Conseil ne sorte point de sa position de juge et qu'il ne prenne point sur lui la responsabilité d’une décision spontanée. Je suis persuadé que M. Godde s’estimerait heureux d’avoir une nouvelle église à faire, et que cette occasion de donner une preuve de son talent lui serait fort agréable ; mais je le connais trop honnête homme, trop loyal, pour faire jamais entrer ce désir pour quelque chose dans l’avis qu’il sera appelé à communiquer au Conseil. D’ailleurs, il entend trop bien les intérêts de sa réputation pour ne pas reconnaître qu’il y a pour lui plus de gloire à acquérir en conservant qu’en détruisant l’édifice dont nous nous occupons. Dès le moment où il s’est aperçu du danger, il s’est rendu compte des moyens à employer pour rétablir les piliers qui menacent ruine ; il n’a jamais reculé devant l’idée d’une restauration, il prépare même depuis lors un travail à ce sujet qui est sur le point d’être terminé. Pourquoi, Messieurs, nous presserions-nous de décider, sans l’entendre, une question qui lui est plus connue qu’à aucun de nous ? Pourquoi nous priverions-nous du concours de ses lumières  ? Ces considérations m’engagent à déposer sur le Bureau la proposition suivante que je prie Monsieur le Président de vouloir bien soumettre à la délibération.

PROPOSITION :

M. Godde sera invité à se rendre au Conseil des Bâtiments civils pour donner une réponse aux questions suivantes.

1° Depuis quand se sont manifestées les dégradations ?

2° D’où proviennent-elles ?

3° M. Godde pense-t-il que la restauration soit possible ?

4° Quels sont ses moyens ?

5° Pourquoi hésite-t-il à en faire usage ?

D’après les réponses de M. Godde et la discussion qui en sera la suite, il sera fait un résumé du tout au Conseil qui en décidera à la séance suivante à la pluralité des suffrages et au scrutin.

Mazois

Le Conseil ayant invité M. Mazois, Inspecteur général de l’arrondissement dans lequel se trouve compris l’église Saint-Germain-des-Prés, à lui communiquer son opinion particulière sur ce monument, et prenant en considération les propositions qui en sont la suite est d’avis :

1° Que toutes discussions soient ajournées jusqu’à ce qu’on ait entendu M. Godde, architecte du monument.

2° Que cet artiste soit invité à se rendre jeudi prochain au Conseil.

3° Que le présent avis, joint aux propositions faites par M. Mazois, soit dans le plus bref délai adressé à M. le directeur général de l’Administration départementale.

Pour extrait conforme

Paris, le 15 mai 1820,

Le président, Heurtier,

le secrétaire, [illisible]